TÉLÉRAMA 3192|16 MARS 2011
MUSIQUE
Viviana aux doigts de fée
La fille du grand Sofronitsky fait exulter chaque note des concertos pour pianoforte de Mozart, joues sur instrument d'époque. Magique.
WOLFGANG AMADEUS MOZART
COMPLETE FORTEPIANO CONCERTOS
VIVIANA SOFRONITSKY (PIANOFORTE)
MUSICA ANTIQUA COLLEGIUM DE VARSOVIE, DIR. TADEUSZ KAROLAK
Viviana Sofronitsky ne se contente pais d'arborer un nom prestigieux - un demi-siècle après sa mort, Vladimir Sofronitsky, condisciple de Chostakovitch conservatoire de Saint-Pétersbourg et gendre (par son' premier mariage) d'Alexandre Scriabine, demeure une légende du piano soviétique.
Elle en porte l'héritage - même si elle n'a presque pas connu ce père disparu quand elle avait 2 ans, sa mère, élève et épouse (en deu xiemes noces) de Sofronitsky, lui a transmis son enseignement. Et bien que Viviana, installée aujourd'hui à Prague, ait choisi une voie très personnelle en se consacrant aux claviers historiques ou à leur copie (des pianoforte du facteur vien- nois Anton Walter, que Mozart affectionnait tant), son jeu est bien estampillé du sceau Sofronitsky. Il brille de cet éclat incendiaire qui fait palpiter, exulter chaque note, ressortir chaque accent, sans se disperser pour autant dans un morcellement pointilliste, mais en exaltant la puissance de l'architecture generale, en galvanisant la courbe d'ensemble de l'æuvre.
Depuis Jos Van Immerseel et son ensemble Anima Eterna (1), on n'avait pas entendu d'intégrale des concertos de Mozart sur instruments d'époque enflammée par une jubilation aussi énergique et gourmande. Viviana Sofronitsky s'est choisi des partenaires très concernés: le Musica Antiqua Collegium de Varsovie, formation solidement implantée dans la capitale polonaise, ou elle anime chaque été un festival Mozart. Mieux qu'un ensemble instrumental: une troupe de théâtre, où chaque instrumentiste joue sa partie comme une « repartie », où la partition n'est que dialogues entre pupitres, clavier marivaudant avec les clarinettes ou les flûtes.
Pendant combien d'années encore public et organisateurs de concerts s'accommoderont-ils d'entendre la musique de Mozart, ou celle de Haydn, dénaturée sur des Steinway modernes, à la sonorité lisse et massive, impersonnelle et monochrome - sans parler des orchestres traditionnels, lourds catafalques symphoniques? En attendant, rejouissons-nous que la fée Viviana veille si bien sur Merlin-Mozart l'enchanteur.
GILLES MACASSAR (1) 10 CD Channel Classics/Harmonia Mundi, ffff